Conclusion

            Les mafia sud-italiennes sont des acteurs à part entière de leur pays, de l'Europe et même du monde. Souvent négligées, leur influence se fait pourtant ressentir dans plusieurs milieux. Ne représentant pas un ensemble compact et hiérarchisé, les différentes mafias italiennes sont pourtant analogues. Camorra, 'Ndrangheta, Sacra Corona Unita ou Cosa Nostra, toutes ont un impact similaire sur les milieux où elles sévissent.

    Cet impact de la mafia est d'une part présent dans l'économie. Elle pratique massivement le blanchiment d'argent, qui au fil d'étapes bien définies, lui permet de crédibiliser ses fonds massifs issus d'activités criminelles dans le monde légal. Par le biais de paradis fiscaux qui sont peu regardant quant à l'origine des fonds et qui fournissent un secret bancaire développé, la mafia finit par blanchir son argent. Une fois l'origine illicite des fonds cachée, la mafia peut réinvestir cet argent dans l'économie légale. Immobilier, industrie, finance, commerces : la mafia tente de pénétrer dans l'économie légale pour se créer une couverture légale et obtenir des revenus provenant d'autres secteurs, là où le monde de la criminalité semble saturé. De nombreuses entreprises choisissent, ou se retrouvent contraintes, de coopérer avec la mafia. Ces entreprises mafieuses en accord avec le monde du légal remportent des appels d'offres et accroissent les revenus de la mafia. Cachant ainsi les activités illicites de la mafia, elle lui offre un déguisement essentiel. Cette couverture est en effet de plus en plus vitale pour la mafia qui, au fur et à mesure que son chiffre d'affaire augmente, empêche la justice de fermer indéfiniment les yeux et provoque des enquêtes. Les activités mafieuses, à la jonction entre légal et illégal, provoquent un sous-développement dans les régions où la mafia sévit.  En effet la mafia ne peut exister sans opportunité d'enrichissement. C'est ainsi qu'elle s'est servie des provinces d'Italie méridionale qui possédaient les taux de croissance parmi les plus élevés d'Italie dans les années 1970 pour s'enrichir. On estime à au moins 20% la baisse du PIB qu'a provoqué la mafia dans ces régions : homicides, extorsions, baisse du revenu des ménages, détérioration des conditions sanitaires, tous ces éléments sont responsables du sous-développement du Sud de l'Italie. Au lieu de stimuler l'économie, la mafia l'a enrayée, créant de forts contrastes entre le Nord et le Sud du pays.

    Cet impact mafieux est aussi présent dans la société. Cette dernière est divisée entre deux camps : les pro et anti-mafia. L'un soutenant ardemment la cause mafieuse notamment sur Internet où son action s'apparente presque à de la propagande sur les réseaux sociaux. L'autre refusant de se soumettre au joug mafieux et à son extorsion. Allant d'une extrême à l'autre, on retrouve des chansons à la gloire de la 'Ndrangheta ou de la Cosa Nostra sur Youtube tout comme on trouve des boutiques où l'on vend uniquement des produits provenant de commerçants refusant de se soumettre à l'impôt mafieux. Cette dissocions au sein de la société sud-italienne montre bien que la mafia n'est pas un phénomène élitiste imposé à la population, mais que si elle existe, c'est bien grâce à une part de soutien populaire. Grâce à son pouvoir, la mafia impacte aussi le monde politique. Sa forte influence sur les classes populaires lui permet d'influencer les votes et de faire élire des partis politiques coopérant avec la mafia. Ajoutant à ça la corruption et l'intimidation, et la mafia finit par se retrouver dans la sphère politique avec des membres de son organisation placés comme préfets, maires ou conseillers municipaux. Cette infiltration de la politique lui permet de s'assurer une immunité judiciaire et de garantir sa propre protection ainsi que celle de ses activités. Véritable virus se propageant dans les cellules de l'Etat italien, la société tente cependant d'y trouver un remède. A travers des interventions militaires, une amélioration de la juridiction et des méthodes d'investigation, l'Etat italien a tenté d'éradiquer le phénomène mafieux de ses territoires. Même si l'emprise de la mafia sur ces territoires a diminué suite à ces mesures, l'Etat n'a toujours pas réussi à faire disparaître définitivement l'emprise de la mafia sur les provinces de Campanie, de Calabre, des Pouilles et de Sicile.

   Enfin l'impact de la mafia est présent dans la culture. Cette fois-ci à une échelle beaucoup plus large, la mafia a fortement influencé le cinéma et la littérature.  De part son implantation aux Etats-Unis, la mafia sud-italienne a réussi à pénétrer le monde d'Hollywood et à lancer une vaste opération de mythification de la mafia partout dans le monde. Le cinéma hollywoodien, grâce à son rayonnement culturel international, a en effet touché un grand nombre de pays occidentaux, créant une image romanesque et valeureuse de la mafia, justifiant presque ses crimes par un code moral qui ne serait pas plus mauvais qu'un autre. Une fois l'engrenage lancé, il est difficile de l'arrêter, et c'est ainsi que depuis 80 ans, le genre du film de gangster ne cesse de perpétuer cette image qui fait rêver les classes populaires. La mafia a toujours fascinée par son action d'ascenseur social et de justicier parallèle dans un milieu où règne la pauvreté, négligé par les hautes sphères de l'Etat. Ce phénomène se retrouve aussi dans la littérature, qui sert souvent de source d'inspiration au septième art. Ainsi la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola est inspirée du livre du même nom de Mario Puzo. L'énorme succès du livre et du film ont contribué à créer cette image enjolivée de la mafia qu'on retrouve aujourd'hui dans l'imaginaire collectif. Cependant tous les écrivains et cinéastes ne rentrent pas dans cette spirale de désinformation et de mythification, dont les mafieux se servent aujourd'hui encore. Roberto Saviano disait ainsi que les mafieux : "essaient en permanence d'alimenter leur propre mythologie, en la construisant souvent sur les images du cinéma". Roberto Saviano, c'est la figure emblématique de la littérature anti-mafia, qui à travers son ouvrage Gomorra, dénonce la réalité que personne ne veut voir, en Campanie, là où sévit la Camorra. Son ouvrage vendu à plus de 10 millions d'exemplaires sert en partie de contrepoids au Parrain de Puzo, vendu lui à plus de 21 millions d'exemplaires. L'adaptation cinématographique de Matteo Garrone, puis télévisuelle par Saviano lui-même, permet au message de son ouvrage d'élargir encore son audience. Entre mythe et réalité, le cinéma et la littérature, en tant que principaux influenceurs culturels, livrent depuis peu une guerre contre eux-mêmes, afin arrêter cet engrenage de mythification de la mafia et de rétablir la vérité dans la conscience populaire.

            Les mafias du sud de l'Italie ont donc un impact dans différents domaines où leur influence se fait fortement ressentir. De l'économie à la culture en passant par la société, la mafia a fortement contagionné les territoires du Mezzogiorno où elle sévit depuis plus d'un siècle jusqu'à l'imaginaire collectif occidental et mondial. Souvent oubliée et négligée, la mafia est pourtant un problème actuel et une atteinte aux droits de l'homme dans un pays se trouvant pourtant au plein milieu de notre Union Européenne. Pier Luigi Vigna, ancien procureur national anti-mafia dira ainsi en 2005 :

 « Il faut protéger l’économie pour défendre la démocratie, parce que si l’économie réelle tombe entre les mains de la criminalité, il n’y a plus de démocratie. Il faut également contrecarrer la principale stratégie de la Mafia : détourner la confiance que les citoyens ont en leurs institutions »