I.3 La mafia facteur, de sous-développement
Enfin, l’impact de la mafia sur l’économie se fait ressentir à travers son influence sur le sous développement des régions dans lesquelles elle sévit. Le sous-développement désigne un état de situation économique et sanitaire très mauvais. Il traite à la fois du développement économique et du développement humain. La présence d’une importante criminalité mafieuse n’est pas incompatible avec la production de richesse. A long terme, elle peut cependant représenter un frein au développement des territoires et des sociétés. La criminalité mafieuse sur le long terme peut créer un cercle vicieux, où sont mélangés mauvais gouvernement, performances économiques inférieures à la moyenne, faiblesse des investissements privés et crise de confiance dans les institutions.
Déjà au XIXe siècle, un lien de cause à effet entre la présence mafieuse et l’arriération économique a été établi. La mafia apparaît dans l'ouest de la Sicile où prédomine l'agriculture extensive : le latifundium, caractéristique des territoires peu développés. Elle est cependant aussi très présente dans des territoires où sont pratiqués l'agriculture intensive comme à proximité de Palerme où l'on produit des agrumes. Ainsi la mafia recrute ses hommes de main dans des milieux modestes, où les situations sociales permettent à la mafia de s'imposer et de se rendre indispensable plus facilement. La mafia se caractérisé par sa capacité à suivre les évolutions de l'économie : sans opportunité d'enrichissement et de production de richesse, la mafia ne peut exister. C'est donc dans des milieux dynamiques que la mafia apparaît, dynamisme que cette dernière endigue : plus elle se développe plus la région décline économiquement. Selon Paolo Pinotti, professeur d’économie à l’université Bocconi, à Milan, la mafia serait responsable d'une baisse de 16 à 20% du PIB dans la région des Pouilles et de la Basilicate, et d'au moins 20% en Campanie, Calabre et Sicile depuis le milieu des années 1970. A travers son influence sur le peuple, les entrepreneurs et les politiciens locaux mais aussi nationaux, elle transforme l'économie du Mezzogiorno (Italie méridionale) en économie assistée : dépendante de la mafia.
Elle empêche le développement économique à travers ses activités mafieuses qui dissuadent les entrepreneurs d'investir dans la région et réduit le revenu disponible des ménages. Cet endiguement provoqué par la mafia était par exemple visible lors la construction de l'autoroute A3 en Calabre. En effet au milieu des années 1960, l'Etat italien souhaite désenclaver la région et la faire sortir de son sous-développement économique en la reliant au reste de l'Italie grâce à une autoroute allant de Salerne à Reggio di Calabria. Ce sont de grandes entreprises du Nord de l'Italie qui remportent les appels d'offres. Les clans de la 'Ndrangheta obligent ces dernières à payer une taxe de 3% sur le montant des travaux, leur faisant comprendre que sans coopération ils ne réussiront jamais à mener à bien leurs chantiers. Les familles se répartissent l'extorsion sur une base territoriale : chacune impose le pizzo aux entreprises qui travaillent sur son territoire. (cf schéma du découpage par familles de l'autoroute A3 de Calabre). De plus, les entreprises sont contraintes de recourir à des sous-traitants locaux qui appartiennent à la 'Ndrangheta comme pour l'approvisionnement en matériaux ou l'exécution de certaines opérations sur le chantier. Cependant la mauvaise qualité du travail des sous-traitants calabrais, et des matériaux utilisés, additionné à une forte augmentation du trafic routier cause une rapide détérioration des infrastructures routières. L'Etat italien décide alors de relancer à la fin des années 1990 des travaux de modernisation de l'autoroute A3. Les entreprises qui remportent les appels d'offres sont à nouveau soumises à l'extorsion par les familles mafieuses, provoquant ainsi des retards dans la livraison des chantiers et une augmentation des coûts.
La mafia empêche aussi le développement humain à travers ses activités comme le recyclage illégal des déchets qui entraîne une pollution des nappes phréatiques et provoque une hausse de 80 à 300% de chances de contracter un cancer du côlon ou du foie dans des régions comme la Campanie. En effet la Camorra, la mafia napolitaine, a fait de la région de Naples la poubelle de l'Europe à travers le trafic de déchets toxiques. Des déchets, provenant en grande partie des entreprises du nord de l'Italie, sont enfouis dans le sol, polluant ainsi les nappes phréatiques et causant des répercutions sur la santé des habitants de la région. Depuis les années 80, les entreprises malhonnêtes qui cherchent à se débarrasser de leurs déchets industriels coopèrent avec la Camorra. Le recyclage légal d'un container de déchets plastiques coûte en temps normal 60 000€ : somme divisée par 10 si l'entreprise choisit de passer par la mafia. D'après l'association Legambiente, de 1991 à 2013, environ 10 millions de tonnes de déchets toxiques se sont retrouvées stockées dans les sols de la Campanie en provenance de pays comme l'Allemagne, la Slovénie ou même encore l'Australie. Aujourd'hui, même si l'Italie est davantage la plaque tournante de ce trafic vers d'autres continents plutôt que la "poubelle de l'Europe", il lui faudra tout de même des décennies pour dépolluer la région de Naples. Ce désastre environnemental et sanitaire qui a éclaté dans les années 2010 est appelé le scandale de la Terra dei Fuochi (terre des feux) à cause des milliers d'incinérations et d'incendies provoqués chaque année pour éliminer les déchets en plein air, pratiqués en plus des enfouissements de déchets dans le sol. Ce que certains appellent le "Fukushima italien" mettrait en cause 440 entreprises, et toucherait environ 106 communes italiennes où le nombre de cancers a augmenté de 50%. Certains estiment que ça pourrait être la Camorra qui réussisse à remporter les appels d'offres de l'Etat pour l'assainissement des sols qui prendrait maintenant des générations pour totalement dépolluer la région.
La mafia est par conséquent un facteur de sous-développement dans les régions dans lesquelles elle sévit. Augmentation du nombre d'homicide, aggravation des conditions sanitaires, baisse du revenu des ménages, inhibition des dépenses publiques, tous ces effets sont dus à la mafia, qui au lieu de stimuler l'économie, l'enraye. Au milieu des années 1970, les régions du Mezzogiorno possédaient des taux de croissances parmi les plus élevés d'Italie. Aujourd'hui la mafia, à travers ses activités, ses comportements, ses rapports et ses institutions, a complètement endigué ces taux de croissances qui sont aujourd'hui les plus bas d'Italie. La mafia exerce ainsi une influence durable et néfaste sur le développement de ces régions, faisant d'elles les plus pauvres d'Italie, et créant ainsi de forts contrastes entre le Sud et le Nord de l'Italie (cf carte du PIB/habitant moyen dans l'Union Européenne).
La mafia a donc bien un impact sur l'économie des territoires où elle sévit, d'une part à travers le blanchiment d'argent qu'elle pratique, et d'autre part par sa tendance de plus en plus vitale à infiltrer l'économie légale. Endiguant la croissance d'un territoire, elle est enfin facteur de sous-développement dans les provinces où elle exerce ses activités.
