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I.2 La pénétration de la mafia dans l'économie légale

            D’autre part l’impact de la mafia sur l’économie se fait ressentir à travers sa pénétration dans l’économie légale. La pénétration de la mafia dans l’économie légale correspond, à travers l’achat de biens personnels ou d’investissement dans les commerces, l’immobilier ou l’industrie, à la dernière phase du blanchiment d’argent. Ainsi, les mafias possèdent aussi des revenus provenant d’activités légales. Ce sont donc des entreprises mafieuses en accord avec la loi qui se créent et qui permettent à leurs dirigeants de posséder une couverture fiscale : ils vont utiliser leurs entreprises légales et déclarées pour détourner l’attention et cacher leurs revenus provenant d’activités illicites.

 

    Ces activités légales ne sont pas insignifiantes pour les acteurs mafieux. Le marché de l'illégal, déjà saturé, offre peu de possibilités de renouvellement et de réinvestissement. Ainsi l'économie légale apparaît comme une nouvelle solution pour le placement des capitaux appartenant aux mafias. Ces activités légales lient souvent intimement l'illégal, et jouer sur les deux tableaux est un atout majeur pour la mafia. Ainsi, on observait de nombreuses discothèques, ou casinos puis, plus actuellement, des restaurants, hôtels ou salles de sport qui sont utilisés pour blanchir de l'argent et servir de bases d'opérations pour les activités mafieuses. De plus ces activités dans le monde du légal permettent à la population locale d'obtenir un emploi, ce qui donne une légitimité sociale supplémentaire à la mafia.

    L'infiltration de la mafia dans le domaine du légal est visible avec l'exemple du traitement des déchets en Campanie. En effet les mafiosi sont "friands" de fonds publics et la question du traitement du surplus des déchets leur semblait  être une aubaine. Achat d'une société de ramassage de déchets, d'un chauffeur, d'une benne à ordure, d'un endroit où stocker les déchets, réponse à un appel d'offre et la mafia était entrée dans le marché légal du ramassage des déchets. Une fois l'économie légale infiltrée, il leur était possible de lier l'illégal à leurs activités en contractant des accords avec des entreprises du Nord de l'Italie, voire du reste de l'Europe, pour aller enfouir des déchets illégalement dans les sols du sud de l'Italie.

    Les entrepreneurs coopèrent aussi avec la mafia en gage de reconnaissance de leur pouvoir et de leur autorité dans les territoires où elles ont une présence. Cette collaboration traduit bien l’incapacité de l'Etat à exercer son pouvoir légitime pour éliminer les acteurs criminels (voir II.3 La société contre le crime organisé). Ces relations ne sont pas forcément réalisées sous la contrainte, elles sont parfois construites et choisies d'être nouée par les acteurs en fonction des situations. Ces relations peuvent prendre des formes variées.

- La subordination : ici les entrepreneurs sont soumis à la mafia à travers l'extorsion pratiquée par ces dernières pour qu'ils puissent exercer leurs activités. En contrepartie la mafia offre sa protection, le paradoxe étant que la violence contre laquelle la mafia protège les commerces est en grande partie créée par elle même. Ce racket est généralement appelé le "pizzo". En Sicile le pizzo concerne 80% des commerces soit environ 160 millions d'euros par an juste dans la région de Palerme en 2008 (cf carte de la fréquence du racket mafieux dans l'économie des provinces en Italie : rouge = courant, orange = occasionnel, jaune = peu pratiqué).

Mappa del pizzo svg

- La complicité : ici les entrepreneurs et les mafieux coopèrent activement et de plein gré pour faire du profit : répondre à des appels d'offres publics et conquérir de nouveaux marchés. Les entrepreneurs savent que la mafia est devenue un acteur économique incontournable et décident d'en tirer profit.

- Le clientélisme mafieux : ici les entrepreneurs sont liés à la mafia par delà le seul domaine des affaires. Ce sont des relations durables dans lesquelles les entrepreneurs mettent à disposition leurs atouts et ressources à la mafia. La mafia s'adressera à eux si nécessaire : par exemple en demandant leur aide pour cacher un mafiosi recherché ou pour se rapprocher d'hommes politiques ou autres personnes difficiles à atteindre.

    Cette complicité entre entrepreneurs et mafia est visible à plusieurs endroits, comme dans le port de Gioia Tauro dans le sud de l'Italie en Calabre. En effet, le port de Gioia Tauro, premier port d'Italie en terme de trafic de conteneurs avec un trafic total de 2,2 millions d'EVP (1 EVP équivaut à un conteneur standard de 20 pieds) est contrôlé par la famille Piromalli, appartenant à la 'Ndrangheta.  Cette dernière y exerce différentes activités :

- Perception du pizzo : à travers ses relations avec les entrepreneurs, elle perçoit une "taxe" sur chaque conteneur traité.

- Détournement de fonds nationaux et européens destinés au port (comme ceux du Fond Européen de Développement Economique des Régions : FEDER)

- Importation de cocaïne (la position de hub du port de Gioia Tauro en fait la plaque tournante de la cocaïne en Europe : 80% des importations provenant de Colombie transitent par ce port), de cigarettes et exportation de déchets.

- Contrôle du marché du travail et implication financière et économique dans les entreprises présentes dans le port.

En échange la famille Piromalli offre sa protection et son pouvoir pour résoudre tous les litiges extérieurs comme ceux avec les syndicats ainsi qu'une attitude conciliante de la part des organismes et services calabrais.

Ainsi des groupes comme Contship, le leader italien en logistique de terminaux conteneurs et solution intermodales, décident d'entretenir des relations de complicité avec la mafia dans ce port stratégique (cf. schéma du contrôle du port de Gioia Tauro).

Gioia tauro

"Par sa capacité à assurer à certaines marques des monopoles pour la distribution de leurs produits, la criminalité organisée est en mesure d'altérer les mécanismes de l'économie de marché." (Pierluigi Vigna, ancien procureur national antimafia, La Repubblica, 19 janvier 2005)

           

            La mafia est donc bien présente dans l'économie légale à travers ses investissements dans différents biens et secteurs, comme l'immobilier, la finance ou le BTP mais également à  travers ses relations avec les entreprises. Coopération forcée dans les cas de relations de subordinations, ou coopération désirée par les entrepreneurs, comme lors des relations de complicité ou encore lors de relations de faveurs réciproques (aussi appelé le clientélisme mafieux), la mafia possède différents moyens pour arriver à pénétrer le bon côté de l'économie, et sortir de l'illégal. Cette intégration dans l'économie légale est importante pour les mafias. La nécessité d'une couverture fiscale devient de plus en plus vitale au fur et à mesure que la mafia se développe et donc son chiffre d'affaire avec.